La crise des scolytes : révélatrice des fragilités de la forêt française

La crise des scolytes : révélatrice des fragilités de la forêt française

La France, et notamment le quart nord-est du pays, est touchée par une vague de dépérissements dans ses forêts de résineux. L’épicéa est l’essence la plus touchée. Les conséquences sont assez fâcheuses pour les forestiers, puisque la quantité de bois touchés en 2019 pourrait correspondre à environ la moitié de la récolte annuelle habituelle en épicéa. Par conséquent, le marché des bois est assez tendu : le bois mis sur le marché dans les zones touchées (issu de coupes sanitaires ou de coupes rases « préventives ») inonde les grandes scieries situées à la frontière entre le sud de la Bourgogne et la région Rhône Alpes. Par conséquent, les ventes de bois en région Auvergne-Rhône-Alpes sont actuellement difficiles.

De plus, bien que les poches de scolytes soient encore faibles en Haute Loire, cette crise fait courir un risque majeur pour les plantations d’épicéa situées dans notre région.

 

Poche de dépérissement sur la commune de Montregard

 

 

 

Alors, qu’est ce que le scolyte ? Il s’agit d’un insecte coléoptère vivant en symbiose avec un champignon xylophage. Cet insecte se développe sous l’écorce de l’arbre où il se nourrit de tissus végétaux, détruisant au passage le retour de sève élaborée, riche en sucres, vers les racines. Le scolyte s’attaque prioritairement aux arbres affaiblis afin d’éviter les réactions de défense des arbres sains (un arbre sain se défend notamment pas la production de résine).

Scolyte (source : wikipedia)

 

 

 

A l’origine de cette crise, une conjonction de facteurs sociétaux ayant des conséquences graves sur la santé de nos forêts :

  • les changements climatiques qui induisent dores et déjà : une augmentation de la température moyenne (multiplication de la vitalité des insectes comme le scolyte), une augmentation de la fréquence et de l’intensité des canicules (affaiblissement des arbres), une irrégularité de plus en plus forte des précipitations (stress hydrique pour les arbres) et une réduction de la période hivernale (temps de repos hivernal moins important pour la végétation, moindre effet du gel sur le cycle de développement des insectes). Dans notre cas, les sécheresses des deux dernières années ont exacerbé la sensibilité de nos forêts.
  • la multiplication du transport de marchandises, et notamment de grumes, qui facilite le déplacement des insectes, et favorise donc un meilleur brassage génétique chez le scolyte et un déplacement accéléré des souches génétiques les plus virulentes.
  • l’omniprésence de la culture de l’épicéa dans certaines régions, qui favorise la propagation et le développement du scolyte
  • l’affaiblissement des écosystèmes forestiers qui empêche la régulation naturelle des populations de scolytes. En effet, l’appauvrissement de nos forêts en supports de biodiversité (bois morts, végétation annexe, clairières naturelles, arbres à cavités, milieux aquatiques ouverts, etc.) et l’homogénéisation des peuplements forestiers (cultures monospécifiques de résineux, tendance systématique à enlever les essences dites « secondaires ») réduisent fortement la présence de prédateurs, et notamment d’oiseaux, capables de procéder à cette régulation. Par exemple, si le scolyte peut constituer une source de nourriture très importante en période estivale pour le pic noir, cela ne permet pas son installation pérenne dans un massif forestier si il n’y trouve pas de support pour installer un nid ou s’il ne s’agit que de la seule source alimentaire disponible.

Même dans un peuplement « naturel » de sapin pectiné, la présence d’une seule essence fragilise l’écosystème forestier.

 

 

 

Alors que faire ? Malheureusement dans notre cas, le mal est bien souvent déjà fait : parmi les facteurs évoqués ci-dessus, la plupart ne peuvent pas être résolus par le propriétaire forestier seul. Les changements climatiques et les conséquences négatives du transport de marchandise sont maintenant un fait. Cela ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas être combattus. J’en profite pour vous faire remarquer au passage que vu les conséquences actuelles des changements climatiques avec le réchauffement moyen actuel (pratiquement +1°C depuis la période 1951-1980), les conséquences d’un réchauffement à +6°C seraient extrêmement dramatiques et mériteraient un « état d’urgence » beaucoup plus marqué.

Par ailleurs, la fonctionnalité de l’écosystème forestier s’améliore à l’échelle d’un massif forestier, pas uniquement à l’échelle de la parcelle : les efforts isolés d’un propriétaire sur la qualité de l’écosystème forestier ne suffiront pas à protéger sa forêt contre des pathogènes comme le scolyte.

A l’heure actuelle, seules des décisions de long terme peuvent être prises par un propriétaire forestier pour réduire la sensibilité de ses bois à de futurs évènements comparables à la crise actuelle : diminution des surfaces de monoculture, maintien de bouquets de peuplements naturels, maintien de végétaux « secondaires » (et non pas « inutiles ») et maintien de bois morts (tant pis pour l’aspect inesthétique selon certains, cela vaut mieux qu’une forêt dépérissante).

Par ailleurs, la situation actuelle doit nous faire réfléchir sur le choix des essences dites « de reboisement » et sur les choix de sylviculture. En effet, dans des départements comme la Haute Loire, le choix est porté à plus de 90% sur le douglas, seule essence à la fois « sure » pour ce qui est du résultat, productive, ayant un bon débouché, et capable de résister à nos étés actuels (mais pas nécessairement à nos étés futurs). Cependant, cet arbre étant souvent « le seul choix » d’un point de vue productif, cela risque de générer une homogénéisation très importante du patrimoine forestier local et donc une sensibilité très forte en cas d’arrivée en Europe de pathogènes naturels du douglas. Or, même pour une essence à croissance très rapide comme le douglas, nos choix de plantation influencent l’aspect et la vitalité de nos forêts futures sur un pas de temps très long, pour une période allant d’aujourd’hui jusque dans les années 2080 voire au delà !

Pour conclure, cette crise met en évidence des fragilités et les limites de notre modèle forestier, mais aussi plus largement de notre modèle économique actuel. Malheureusement, les facteurs en jeu à l’heure actuelle pour guider le choix des propriétaires forestiers (prix des bois, rémunération uniquement de la production de bois, cadre foncier et juridique) pourraient porter les germes de nombreuses autres crises à l’avenir.


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